Conversation avec Laurence Chaudouët

Onuphrius – Vous écrivez des textes appartenant à différents genres, de la poésie au roman et à l’essai. Quand et comment êtes-vous venue à la nouvelle ?

Laurence Chaudouët – J’ai commencé très tôt à écrire des nouvelles. Mon premier texte, écrit à l’âge de treize ans (si mes souvenirs sont bons) était une nouvelle fantastique. J’ai tout de suite été attirée par ce genre, qui me permet de canaliser une inspiration parfois un peu digressive. La nouvelle est pour moi le lieu idéal pour faire naître des parallèles et des équivalences entre différents plans de narration, déplier un éventail d’interprétations du plus concret au symbolique. Ce peut être, aussi, l’expression d’un instant pris à différents niveaux de vision. Le roman est aussi un genre que j’affectionne, mais je le prends plus comme une exploration, une aventure pour l’imaginaire. Quant à la poésie, elle est pour moi le lieu ultime (et premier) de la relation avec le réel.

O. – Dans Le Cerisier, comme dans d’autres de vos nouvelles, on est vite gagné par une angoisse croissante. Nous basculons dans le registre fantastique après que le décor, apparemment innocent, a été planté. D’où procède, chez vous, cette nécessité de voir l’irréel faire irruption dans le réel ?

L. Ch. – Oui, c’est exactement ce qui m’intéresse dans le genre fantastique : l’irruption de l’imaginaire dans le réel. Trouver ce lieu où la frontière entre les deux s’amenuise et finit par disparaître. Ce n’est pas un « truc » littéraire, c’est vraiment quelque chose qui correspond à mon propre ressenti, ce jeu avec la frontière de l’imaginaire. Il est important de partir d’un décor apparemment anodin, pour que cette puissance du fantastique puisse se déployer complètement, et non pas de planter un environnement factice avec un fort symbolisme de genre. Alors, la subtilité du glissement vers l’imaginaire peut opérer. Cet « irréel », pour moi, correspond à une présence forte des éléments sensoriels, à une puissance ancrée dans la nature, et qui renvoie bien évidemment à la peur, à l’interrogation, à l’angoisse essentielle d’être au monde.

O. – Dans cette histoire, la nature et les hommes semblent s’être conjurés pour menacer la narratrice, Sarah. On pense, bien sûr, au film Les Oiseaux, d’Alfred Hitchcock, mais aussi à une nouvelle de la comtesse de Baillehache, Une plante rare– exhumée il y a deux ans par la revue Brèves –, qui décrit la croissance extraordinaire d’un végétal inconnu, de plus en plus envahissant, et finalement meurtrier. Sarah, elle, échappe au danger, non par un sauvetage miraculeux, mais parce qu’elle se retire à temps de la scène où sévit le mauvais charme. Que représente à vos yeux cette nature hostile, ces voisins débonnaires qui se comportent subitement comme des spectres, ces parents protecteurs, mais qui, l’espace d’un instant, paraissent malveillants ?

L. Ch. – Ce qui je crois se comprend assez facilement dans cette nouvelle, c’est que l’imaginaire, ici, est dévorateur. Et, d’autre part, il vient d’elle-même, il émane de Sarah, elle est comme la spectatrice impuissante de la force de son imaginaire. La nature (personnifiée par le cerisier) est en fait son expression intime, profonde, qu’elle n’arrive pas à juguler. Quant aux autres, ils sont vus à travers l’expansion de cette angoisse, et tout est très subjectif : on ne sait pas comment ils peuvent être vraiment, ils sont décrits en quelques mots, car ils sont vus à travers le regard angoissé de Sarah.

O. – L’ambivalence des parents joue d’ailleurs jusqu’au bout, puisqu’ils reprennent leur rôle de bienfaiteurs à la fin du récit…

L. Ch. – Les parents sont importants dans la nouvelle, parce que (sans entrer dans la dimension psychanalytique) ils sont un peu ceux qui couvent la petite Sarah, qui est sur le point de prendre son essor, de rentrer dans sa dimension d’adulte. Mais ils sont aussi ceux qui pèsent sur elle, qui l’enferment dans une bulle protectrice qui n’est pas sans générer une certaine angoisse, là aussi, et dont à la fin elle se libère.

O. – Dans ce qui constitue peut-être un système de symboles, le personnage de la petite fille à la balançoire n’est pas le moins inquiétant. C’est pourtant, à ce qu’il semble, le plus innocent, une figure quasi-angélique…

L. Ch. – Ce personnage est moins un symbole trop défini (je n’aime pas les explications trop courtes) qu’un contrepoint. Il semble attirer Sarah vers une forme de libération. En même temps, il la fige dans un sortilège. Il participe à l’irréalité du cerisier, mais il en est le contrepoint. Son angélisme n’est qu’apparent : plus que tout autre personnage (et il n’en est pas vraiment un, plutôt une figure fantomatique), il est l’expression même de l’ambiguïté.

Propos recueillis par A.B.C. Noun

On pourra en savoir davantage sur les livres de Laurence Chaudouët, et lire des extraits de ses œuvres, en consultant son blog : Le Cœur étranger.

2 Comments

  1. C’est là une belle nouvelle, réussie à mon sens en ce qu’elle ne donne pas de « solution » mais ouvre la porte au lecteur qui peut prendre, pour en sortir, telle porte ou telle autre.
    Et l’écriture y est souple, très agréable.
    Merci.

    1. Merci à vous, cher Bertrand, de cette appréciation, qui est celle d’un maître du genre. Je suis bien d’accord avec vous, on pourrait parler ici d’une nouvelle ouverte, où chaque lecteur peut décider de la signification de sa lecture…

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