Conversation avec Jean-François Foulon

« Je dois être à mon insu une sorte de troubadour… »

Onuphrius – Jean-François Foulon, vous êtes très attaché à la terre et à la forêt wallonnes de votre enfance. L’enfant que vous étiez, qui s’est exercé à la version grecque et latine sur Homère et sur Virgile, a-t-il également reçu une culture littéraire spécifiquement belge ?

Jean-François Foulon – Non, on n’étudie pas spécialement les auteurs belges en Belgique francophone, du moins quand j’étais sur les bancs du lycée (qu’on appelle collège ici). On peut le regretter, car il y en a de bons. Je dirais même qu’on peut s’étonner de la vitalité littéraire qui existe en Wallonie et à Bruxelles. Mais si on réfléchit à la diffusion de cette littérature, on va vite tomber dans des problèmes politiques (au sens étymologique de πόλισ, la cité, l’assemblée des citoyens). Alors que la Flandre a une identité forte, ce n’est pas le cas en Wallonie francophone, puisqu’elle est voisine de la France et qu’elle est de culture française (avec certes des particularités, mais comme on peut en avoir dans n’importe quelle région de France). Difficile donc de s’affirmer comme différent dans un tel contexte.

Ajoutez à cela que toutes les grandes maisons d’édition se trouvent à Paris. Etre édité à Liège, à Charleroi, à Perpignan ou à Rennes a moins de prestige que de sortir un livre à Paris. Un écrivain « belge » va donc apparaître comme mineur aux yeux de ses compatriotes, tant qu’il restera en Belgique ; et il ne sera vraiment reconnu que lorsqu’il sera chez Gallimard, Grasset ou quelques autres. Tout cela explique sans doute pourquoi le milieu scolaire s’intéresse relativement peu à la production locale. Le Québec, îlot francophone dans un univers anglo-saxon, a davantage tendance à privilégier ses auteurs. Si la Wallonie était  indépendante, on peut supposer que la situation évoluerait (c’était un peu le récent rêve de la Catalogne), mais elle est sous la coupe de la capitale fédérale. Pour le dire autrement, le drame de la Wallonie, c’est qu’elle a une capitale administrative qui est Bruxelles et une capitale culturelle qui est Paris.

Tout cela pour dire que ma formation littéraire à l’école (au lycée comme à la faculté) a été axée sur la littérature de France, ce que personnellement je ne regrette pas puisque ma mère était française et que je suis à l’aise dans les deux pays. Je me sens très peu belge, en fait, et à ce titre la belgitude, comme on dit, ne me « parle » pas. Et puis la littérature est universelle, elle traite de l’homme et de la femme en général, de leur place dans le monde, de leurs amours, de leur désespoirs, de leurs rêves. Ne la cantonnons pas à un morceau de territoire.

O. – Plus généralement, quels sont les auteurs qui ont été décisifs pour former votre sensibilité de lecteur, puis d’écrivain ?

J.-F. F. – Bonne question. On peut lire des centaines de livres, il y en a toujours quelques-uns qui sortent du lot. Pour ceux-là, on sait au moment où on referme le volume qu’on n’est plus le même qu’avant, tant on a été marqué au plus profond de soi.

Le premier livre de vraie littérature que j’ai lu, c’était Les Misérables de Victor Hugo. J’avais treize ans et j’avais été impressionné par cette plume qui courait sans effort apparent sur le papier, et qui vous racontait des histoires si bouleversantes. Après, il y a eu Dostoïevski, dont j’ai pratiquement tout lu ; Malraux et La Condition humaine ; puis ce fut Céline et son Voyage, incomparable par son style et d’une humanité bouleversante. Je citerai également Garcia Marquez et Cent ans de solitude. Ce livre m’avait tellement marqué que je suis parti à la découverte des auteurs latino-américains, notamment Cortazar et Alvaro Mutis (Mutis, qui m’a certainement inspiré pour mon livre de poésie Le temps de l’errance, avec ses récits de marins qui prennent le large pour des aventures improbables). Dans le domaine anglo-saxon,  je citerai Styron (La proie des flammes), Penn Warren  (Les eaux montent, Les fous du roi), McCarthy, et Malcolm Lowry (Au-dessous du volcan). N’oublions pas Boulgakov du côté russe (Le maître et Marguerite) et Pavese pour l’Italie. Dans le domaine français, j’évoquerai Camus, qui a marqué mon adolescence, Cioran pour sa lucidité et son désespoir,  Flaubert pour le style, Fromentin pour Dominique et tout Giono. J’ai adoré les livres de Mauriac, qu’on présente de manière réductrice comme un écrivain catholique alors que c’est avant tout un auteur torturé. Les Essais de Montaigne sont eux aussi fondamentaux, comme les Rêveries de Rousseau. Pour terminer, je proposerai aussi les noms de Yourcenar pour l’intelligence et de Jules Vallès pour sa révolte. Du côté de la poésie, il y a d’abord Rimbaud, mais aussi Guy Goffette (un Belge) et Jaccottet.

Et puis il y a tous les autres, évidemment, qu’on a oubliés, mais qui sont restés en nous et qui doivent eux aussi guider notre plume à notre insu.

O. – Vous écrivez aussi bien des poèmes que des nouvelles, de longs récits et des romans. Ces différentes disciplines influent-elles les unes sur les autres pour donner son cachet particulier à votre écriture ?

J.-F. F. – Un poème, même en prose, ne se rédige pas de la même manière qu’un roman. Dans un récit court on est surtout concentré sur l’intrigue et sur l’intensité du message qu’on veut faire passer, tandis que dans un roman, on prend plus le temps de flâner, de faire des digressions. Mais il est parfois difficile de faire des distinctions. Ainsi, mes nouvelles sont généralement très longues, et sont plutôt de courts récits. Elles servent aussi parfois de point de départ à des romans. Le chapitre premier d’Obscurité1 était à l’origine une nouvelle. Même chose pour un roman actuellement en cours de lecture.

O. – Sans nouvelles d’elle se rattache à la littérature fantastique. Est-ce un cas isolé parmi vos œuvres ?

J.-F. F. – Non, j’ai écrit plusieurs nouvelles qui se rapprochent du fantastique. J’aime bien mettre le doigt sur cette ligne ténue qui sépare le monde réel d’un autre, qui est peut-être celui de nos rêves ou de nos cauchemars.

O. – Cette nouvelle nous transporte dans l’atelier d’un peintre. On a le sentiment que la peinture est un thème très important pour vous. Pouvez-vous nous en dire plus sur la place qu’elle occupe dans votre vie, et si le peintre-narrateur de cette aventure étrange s’inspire d’un personnage réel ?

J.-F. F. – J’adore la peinture mais serais absolument incapable de tenir un pinceau. Mais la peinture est fascinante car elle doit fixer sur la toile un moment unique et, à partir de là, faire comprendre toute une intrigue ou tout un ressenti. C’est un tour de force. L’écrivain, lui, est dans la description minutieuse d’une succession d’événements. Avec lui, le temps se déroule, avec le peintre, il se fige.

Pour revenir à la présente nouvelle, j’ai choisi un peintre comme héros pour honorer une démarche artistique différente de la littérature. Ce peintre est inventé et ne fait référence à personne. Yseut, par contre, a existé. Des affinités incroyables peuvent se révéler à travers une correspondance, et que celle-ci se fasse sous forme de courriels n’y change rien. S’ils vivaient aujourd’hui, Héloïse et Abélard échangeraient des emails !

« Ecrire, c’est chercher des réponses et y arriver rarement. »

O. – Une scène poignante nous montre le peintre à la recherche éperdue de son inspiratrice inconnue, sur les routes, auprès des commerçants, ne sachant vers qui se tourner pour trouver celle qui toujours se dérobe. Parfois le rire s’invite au beau milieu de la difficulté – ainsi de la remarque du cafetier : « Ce n’est pas d’artistes qu’ils ont besoin, les gens d’ici, mais d’un vrai peintre en bâtiment, pour rafraîchir un peu les façades ! » Cette idée d’une poursuite exaltée, d’une quête douloureuse se trouve également, quoique différemment, au centre de votre roman Obscurité

J.-F. F. – Oui, en effet. Ecrire, c’est chercher des réponses et y arriver rarement. C’est vrai que mes personnages sont souvent en déplacement, probablement à la recherche d’eux-mêmes. C’est vrai dans Obscurité, mais aussi dans les poèmes2. Soit il s’agit de marins partis bien  loin, malgré les tempêtes, vers des îles paradisiaques qui relèvent plus du rêve que de la réalité, soit il s’agit de poèmes d’amour qui sont une quête de la femme aimée, à jamais inaccessible. Je dois être à mon insu une sorte de troubadour…

O. – La quête trouve-t-elle parfois, chez vos personnages, une issue heureuse ?

J.-F. F. – Rarement. Je suis assez pessimiste de nature parce que foncièrement lucide. Obscurité se termine mal. Les six premières nouvelles d’Ici et ailleurs3, regroupées sous le sous-titre Afrique, tournent autour d’un amour impossible et d’un assassinat. Par contre, une nouvelle comme Le Temple du soleil montre l’engagement politique et social d’une femme déterminée. Elle agit, même si elle sait que son action sera sans doute vouée à l’échec (« C’est bien plus beau lorsque c’est inutile ! » comme disait le Cyrano de Rostand).

O. – Est-il indiscret de vous demander à quelle œuvre nouvelle vous êtes actuellement attelé ?

J.-F. F. – Un roman est actuellement en comité de lecture. S’il voit le jour, il devrait s’intituler Ardenne ; il raconte le cheminement intérieur et géographique (encore !) d’une femme dont le compagnon est décédé. Elle essaie de le retrouver à travers les souvenirs et les lieux où ils se sont connus. Cela l’amène à découvrir l’Ardenne, qu’elle ne connaît pas, mais qui était le pays natal de l’homme qu’elle a aimé.

Un autre roman est en cours d’écriture et traite, lui, de l’enfance malheureuse.

Propos recueillis par Jean-David Herschel

1 Obscurité, roman, éditions Chloé des Lys, 2015.

2 Le Temps de l’errance, poèmes, Chloé des Lys, 2016.

3 Ici et ailleurs, nouvelles, Chloé des Lys, 2017.

Jean-François Foulon tient un blog littéraire : Marche romane.

N°6 – Pour un fantastique enraciné

    Le fantastique ne manque pas de racines, mais celles-ci se trouvent généralement au ciel, dans un monde d’esprits bénéfiques (Spirite), maléfiques (Le Horla), ou dans un passé immémorial (Le Pied de momie). Le conte que voici a ses racines dans la terre, dans notre terre de France, et dans notre propre mémoire de peuple. Le petit Landais et l’armée de tournesols pourrait être sous-titré Essai de fantastique rustique. La veine champêtre y voisine avec une intense fibre sociale, un regard aiguisé sur l’art, et la candeur émouvante de l’enfance. Ce conte, nous le devons à Marianne Desroziers, femme de lettres bordelaise, auteur de nouvelles nombreuses et de poèmes, publiés en revues ou en recueils.

         Marianne Desroziers sait faire parler par sa voix des narrateurs et des personnages très divers. Ici, c’est bien la pensée et la parole d’un enfant, immortalisé par la sculpture dans cette moderne Vénus d’Ille, qu’elle fait sienne. La statue du petit Landais retrouve vie par sa plume, devenant la prolongation directe de l’enfant qui en fut le modèle. C’est que l’art, quand il est intensément expressif, recèle lui-même la vie. « Mettez un peu de vie dans votre art » disait Louis Jouvet dans Entrée des artistes. On appréciera également le sens de la formule chez notre nouvelliste : « Être un buste, c’est être condamné à l’immobilité » ; « Se résigner, c’est mourir à petit feu » ; et la cadence finale : « Qui eût cru qu’une œuvre d’art pouvait rêver ? »

            Après avoir lu cette nouvelle, ne manquez pas l’interview de l’auteur, qui lui fait suite.

Mimy la Gapette