Onuphrius – Bertrand Redonnet, ce village, décrit dans L’Enterrement, si particulier par son église excentrée, où le spirituel ne se mêle pas au matériel, l’avez-vous connu, ou est-ce une pure invention ? Car on a beau chercher sur la carte du Marais poitevin, on ne trouve pas de Ceriseraie…
Bertrand Redonnet – Non seulement je l’ai connu, mais j’y ai vécu vingt-sept ans durant. Il ressemble à s’y tromper à Cramchaban, en Charente-Maritime, aux lisières du Marais poitevin. Avec mon ami l’écrivain Denis Montebello, il nous plaisait de croire et de dire que Cram Chaban voulait dire Cabane brulée. Parce que la toponymie, c’est d’abord une histoire de poésie…
O. – Comme dans d’autres de vos nouvelles, qui ont pour cadre la France ou la Pologne, toute la première partie de L’Enterrement est consacrée à la description du lieu de l’action. C’est comme si le paysage était lui-même un personnage, peut-être le personnage principal. D’où vient, chez vous, cette attention si particulière au décor, et que signifie-t-elle à vos yeux ?
B.R. – Je pense que cet amour des paysages où évoluent mes personnages vient de cette conviction, non pas intellectuelle mais sensible, que si les hommes font les paysages ils sont aussi faits par eux. Beaucoup. Et par leur climat. C’est une idée qui me tient à cœur. Dans Le Loup, la nouvelle qui ouvre Le Théâtre des choses, j’écrivais ceci :
« Que je te dise d’abord les lieux, les climats et les paysages. Sans eux, un récit est comme un poisson sans son eau, un oiseau sans son ciel et une étoile sans sa nuit. Et ils ont tort les gens qui racontent en voulant faire l’économie du théâtre des choses. Ils ont tort parce que lire et écouter c’est se transporter dans un ailleurs du monde qui n’est, à mon sens, transmissible qu’à travers les mots d’une sobre description, ceux-ci n’entravant pas l’imagination mais, au contraire, la stimulant. »
Gilles Marchand l’avait bien compris, qui proposa que le recueil ait pour titre l’expression employée ici, « le théâtre des choses ».
O. – Le récit de l’ouragan, des catastrophes qu’il provoque et du lent effort des hommes pour en réparer les effets, est suivi par une manière de farce à la Maupassant : la scène de l’église. D’un monde rude et résigné, du drame, on passe de manière saisissante à la comédie. Ce contraste, qu’exprime-t-il à vos yeux ? La variété des états d’âme ? Le recours à l’humour comme seule arme, face au sentiment d’impuissance que le destin impose à l’homme ?
B.R. – Il signifie que la vie est un drame quasi permanent. Et que la seule façon de la traverser sans s’abîmer, au sens étymologique du terme, c’est le rire, la distance, la dérision. Ce n’est cependant pas toujours possible. J’en conviens. Les grandes tragédies qui, parfois, traversent notre histoire, ne permettent pas le rire.
O. – Votre dernier roman, La Pomme ne tombe pas loin du pommier, vient de paraître. Pourriez-vous nous en raconter un peu l’action ?
B.R. – Un fils d’immigrés polonais, résistants au nazisme puis au stalinisme, décide, à soixante ans passés, de venir au pays de sa « préhistoire ». C’est pour lui un pays imaginaire, il a besoin d’aller vérifier son existence et il se demande pourquoi ses parents ne sont jamais revenus en Pologne après la chute du mur de Berlin.
Cette idée le poursuit après que, dans son verger, une nécropole de la protohistoire, époque de la culture campaniforme, a été mise au jour. À l’heure où la question de l’identité partout refait surface, parfois avec violence, mon roman essaie de la dire indéchiffrable, cette identité. En tout cas multiple.
O. – Diriez-vous que votre écriture, en tant que romancier, diffère fondamentalement de celle du nouvelliste ?
B.R. – Non… Et, contradictoirement, peut-être m’attardé-je plus dans une nouvelle que dans un roman sur la contemplation des paysages. Je crois surtout que je suis plus un nouvelliste qu’un romancier – quant à la longueur des textes en tout cas, même si je sais bien que la nouvelle ne se différencie pas du roman que par le quantitatif. Loin s’en faut !
Je pense à Marc Villemain, un ami et un écrivain ami d’Antidata. À quelqu’un qui remarquait un jour que ses textes gagneraient s’ils étaient un peu plus longs, il disait qu’il souffrait, ou avait souffert, d’un souffle au cœur et que c’était peut-être pour cela qu’il ne tenait pas la distance. Il le disait plaisamment, bien sûr, et il me pardonnera si j’ai déformé ses propos. Mais de la même façon, mes romans n’ont jamais la longueur que je projette qu’ils aient au départ. Comme si moi non plus, je ne tenais pas la distance !
Et sans doute n’est-ce pas un hasard si les trois livres que je considère comme les fleurons du patrimoine, les perles de la couronne littéraire, ceux que je voudrais emmener avec moi au Paradis si j’y suis admis, sont des pavés, des monuments : Les Enfants Jéromine d’Ernst Wiechert, Guerre et paix de Tolstoï et Les Frères Karamazov de Dostoïevski.
Propos recueillis par Edmée Rubanblanc
Pour commander La Pomme ne tombe pas loin du pommier : éditions Cédalion
On peut aussi s’adresser à la librairie des Halles, à Niort ; à la librairie Les Saisons, à la Rochelle ; ou encore, à la librairie Le Matoulu, à Melle (79).
Pour lire le blog de Bertrand Redonnet : lexildesmots.hautetfort.com